mercredi 18 septembre 2013

Petit écrit.

Il y a bien trop longtemps que je vis ici. Mais je ne peux pas partir. Je suis bien trop attaché à ce vieux tas de bois pour tout plaquer d'un coup. Je ne supporterais pas de ne plus pouvoir sortir, monter ces cent marches, et observer au loin, mains sur les hanches, pieds légèrement écartés, en espérant que le vent fasse voler légèrement mes cheveux, puis prendre trois ou quatre grandes inspirations, et m'assoir, fermer les yeux, et écouter le silence couvert par le son du vent.
Pire qu'un rituel, cela m'était devenu indispensable. Il ne me fallait pas d'heure particulière ni de situation particulière, il fallait juste que je le fasse tous les jours. Je restais assis, en haut de ces vieilles marches de bois qui avaient dû être placées là il y a des centaines d'années, pour un quart d'heure, environ, souvent un peu plus, mais jamais trop longtemps, à ne rien faire. Juste respirer, lentement, et me vider la tête.
C'est ce qui me retient le plus ici. Mais je ne supporterais pas non plus un autre réveil, un autre lit, une autre faune, une autre flore... En fait, je me suis tellement habitué à tout ça que je ne suis plus capable de m'imaginer ailleurs. Il est probable qu'il faille quelqu'un d'extérieur pour me tirer d'ici. Mais je suis intouchable, ici, et personne ne peut atteindre ce lieu. Alors je suis condamné à cette vie heureuse. Ce n'est pas triste, j'ai accepté d'être là. Je regrette simplement de ne pas pouvoir quitter cet endroit si l'envie me prend. Je ne sais même pas comment partir d'ici.



****



Pire encore, je n'avais pas le droit de partir. Pourtant, quelque part au fond de moi, l'envie de voyager bouillonnait. Mais j'étais trop dangereux. Et j'avais accepté mon sort. Alors, dans l'espoir que quelqu'un enfreigne la Première Loi Divine, j'attendais. Mais j'étais bien, ici. J'avais tout ce que je voulais. Il faisait beau tout le temps, il n'y avait pas de saisons. Je pouvais chasser, les animaux semblaient aussi nombreux que nécessaires, malgré les carnages que je causais parfois. Les arbres détruits repoussaient en une nuit, mon abri était toujours en parfait état, le soleil -ou en tout cas ce qui me fournissait la lumière- ne bougeait pas, tout semblait inaltérable. Même moi. Je m'amusais parfois à regarder le soleil à m'en brûler les yeux, parfois je respirais de l'eau ou je me coupais des membres, le lendemain j'étais comme neuf. Et rien à voir avec ma régénération naturelle. Je sentais que j'avais les mêmes yeux, poumons, membres. Mais finalement, l'amusement était retombé, et j'avais laissé tomber ce jeu. Enfin, presque.
Cet univers inaltérable était parfois gênant. Parce qu'il n'était pas parfait. Par exemple, même si ma demeure était invulnérable à... à peu près tout, la prolifération des parasites se ressentait en fin de journée, parfois. Et si je les éliminais -en détruisant à peu près tout- ils réapparaissaient aussi nombreux le lendemain. Et cela valait pour tout ce qui pouvait me gêner. J'étais dans un lieu à l'écart du monde, intouchable, mais pas un paradis.

Je me demandais parfois ce qu'était ce lieu. Je ne vieillissais pas. Je savais que de toute façon, je ne vieillirais pas aussi vite qu'un humain, mais là... Cela faisait à peu près quatre-vingt dix ans que j'étais là, et j'étais toujours aussi jeune. Peut être que les journées rembobinaient à chaque fois que je dormais. C'est ce qui me semblait le plus probable après de nombreux tests. Je pouvais me coucher quand je voulais, j'étais toujours réveillé par le même cri de loup -que je mangeais, autant ne pas louper une bonne occasion. Rien ne se passait jamais de différent. Parfois, le hasard faisait se comporter les animaux légèrement différemment d'une fois sur l'autre.
J'avais largement eu le temps de parcourir la région. Enfin région... cet endroit semblait plus grand qu'un continent. J'avais volé dans la même direction pendant plusieurs semaines sans rien trouver d'autre que des plaines, des forêts et parfois des montagnes, et plus rarement, des rivières. Pas une seul mer, pas un seul lac. J'avais bien essayé de suivre certaines rivières pour voir où elles se déversaient, en vain. Un mois de vol pour rien. J'avais donc fini par rentrer retrouver mes repères.
 Sans le moindre indice.


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En tout cas, cet endroit était bien fait. Rien ne me donnait envie d'en partir, rien ne me laissait croire que je pouvais m'en échapper. Et j'avais passé un accord. C'était beaucoup plus prudent pour tout le monde que je reste ici. J'avais ce qu'il me fallait, sans être exagéré, je vivais sauvagement mais instinctivement, un peu comme si tout avait été créé sur mesure pour mon espèce, ou même moi. Par exemple le vent. Toujours aussi doux, toujours dans la même direction -l'ouest- et toujours présent uniquement en hauteur, sur ma colline, où je m'évade. Si on enlevait le facteur aléatoire du comportement des animaux, et l'espèce de fausse chaine alimentaire qui rend réel l'endroit alors que rien ne peut y changer -je ne peux même pas mourir de faim-, tout serait parfait pour moi. Je n'aime pas la mer.
Je me disais souvent que si quelqu'un venait me chercher quelle que soit la raison, je reviendrais ici un jour pour, au moins une fois, remonter les cent marches et écouter le vent, un quart d'heure.

En tout cas, si vivre éternellement c'est recommencer la même journée à l'infini, la vivre dans un endroit comme celui-ci me convient.


 

(Salut tout le monde, c'est LEJON, alors, j'ai aucune idée de si je vais continuer cette histoire, elle me plait bien, mais je sais pas si j'aurais de quoi en faire beaucoup plus. On verra, ça serra 100% au feeling. J'espère qu'elle vous aura plu quand même. Allez, à la prochaine.)

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